2016 a été marquée par une montée en puissance de la politique populiste en Europe et a abouti au vote du Brexit, et à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. En 2017, la campagne présidentielle française a déjà été troublée par un scandale politique impliquant le candidat de droite et favori présidentiel, François Fillon. Il aurait versé à son épouse et ses 2 enfants des sommes importantes pour des emplois fictifs.
Et moi qui croyais que l’élection présidentielle fut jouée, Fillon le vainqueur. “Fillon à l’Anglaise” avais-je pensé. Renaissance des cendres Thatchériennes, feu attisé par le plus fort mistral, bien meilleure qu’une droite extrémiste ou qu’une gauche incapable. Mais la belle Pénélope, telle une déesse sortant du plus profond de l’Océan, s’empara de son destin, aidée par ses deux enfants. Affaibli mais pas vaincu, reste à savoir si le printemps de Fillon sera aussi beau que l’avait été son automne.
Mais où chercher pour sauver l’Europe de cette corruption et de ces affaires qui, comme des vers affamés, rongent et pourrissent le plus beau bois de nos plus belles forêts? J’entre dans un musée et remonte le temps. Le temps de l’histoire, le temps des histoires. Je retrouve, dans une des salles, une poupée en céramique. Elle me regarde, les yeux débordants de sagesse et de lumière. Elle m’impressionne car sa fragilité extérieure cache une volonté et une force que nul ne pourrait combattre. A côté d’elle, un taureau blanc. La poupée est une princesse et s’appelle “Europe”. Séduite par Zeus déguisé en taureau, Europe le caressa, attirée par l’odeur d’un crocus qu’il mâchonnait. Zeus l’amena jusqu’à l’île de Crête, accompagné par des nymphes marines chevauchant des dauphins, et ils s’unirent sur l’île. Lorsque Zeus l’abandonna, Europe épousa le roi de Crête, et devint reine.
Tout commence donc en Grèce. Et ne serait-il pas sage de remonter jusqu’à la source de notre Vieux Continent afin de trouver un remède pour ses blessures? Remontons, et retrouvons la logique d’Aristote et, surtout, les rêves de Platon. Et n’est-ce-pas Socrate qui amène la philosophie du ciel vers la terre?
Voici ce que nous dit Platon, du plus haut de sa pensée. Il nous met en garde contre ceux qui nous gouvernent:
A moins que les philosophes n’arrivent à régner dans les cités, ou à moins que ceux qui à présent sont appelés rois et dynastes ne philosophent de manière authentique et satisfaisante et que viennent à coïncider l’un avec l’autre pouvoir politique et philosophie ; à moins que les naturels nombreux de ceux qui à présent se tournent séparément vers l’un ou vers l’autre n’en soient empêchés de force, il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de terme aux maux des cités ni, il me semble, à ceux du genre humain. – Platon , La République
Philosophe roi, tu es le seul capable de transcender ta propre liberté d’assouvir tes désirs, et agir pour les autres. Fais en sorte que ton pays, membre de l’Union ne vive que pour elle. Ce n’est qu’à travers toi que l’Union, fille éloignée de la Princesse Europe, deviendra sage, courageuse et juste. Mais pour atteindre cette sagesse, ce courage et cette justice, chaque membre de l’Union doit retrouver l’équilibre, aujourd’hui manquant, de sa propre constitution.
Le philosophe roi transcende sa liberté personnelle pour la liberté collective.
Les démagogues endiablés ne cessent de crier « Redonnons le pouvoir au peuple », sans jamais pour autant spécifier ce que signifie “pouvoir”, et qui est le “peuple”. “C’est cela la démocratie”, ajoutent-ils. Mais, comme le suggère Platon, une démocratie absolue où la liberté individuelle est illimitée, peut vite basculer en tyrannie.
Si je pouvais faire revenir sur terre deux philosophes, mon choix serait vite fait : Platon et Hannah Arendt. Elle n’aimait pas être appelée philosophe, mais sa sagesse est telle qu’elle en fait partie. J’ai déjà évoqué la pensée d’Arendt expliquant ce qu’elle appela “la banalité du mal”. Mais que dirait Platon pour nous aider, s’il était parmi nous?
Il verrait une fracture sociale dont les deux extrémités, si lointaines l’une de l’autre, n’auraient aucune chance de se rejoindre. Cette fracture proviendrait, en grande partie, d’une trop grande liberté. Ceci semble paradoxal, mais la liberté même que la démocratie valorise avec tant de vigueur pourrait être la cause de son effondrement.
Eh bien, n’est-ce-pas justement l’appétit insatiable de ce que la démocratie considère comme son bien qui va conduire à sa perte ? – Platon, La République
Certes nous n’avons pas la tyrannie, dont Platon avait écrit qu’elle était le fruit d’une démocratie brisée, mais nous vivons de plus en plus comme esclaves, sous l’emprise d’un démon qui isole chaque individu et, depuis peu, chaque état. Cet individualisme prend source dans la famille et traverse les quartiers, pour terminer sa course dans la ville la plus lointaine dont personne ne connait le nom. A l’échelle de l’état, l’individualisme prend la forme d’un isolationnisme économique et culturel de plus en plus justifié par les chefs politiques.
Comme un homme dominant un animal gigantesque, les démagogues peuvent convaincre et faire rêver les masses, sans savoir pour autant si leur rhétorique est juste ou souhaitable. Sophistes de l’antiquité et démagogues d’aujourd’hui, tous ont une parole juste pour falsifier la vérité d’un monde qui leur échappe.
…après avoir partagé l’existence de l’animal et consacré beaucoup de temps à l’observer, notre homme donne le nom de sagesse à son expérience, il la systématise pour en faire un art et se met à l’enseigner sans connaître véritablement, dans ces doctrines comme dans ces comportements instinctifs, ce qui est beau ou laid, bien ou mal, juste ou injuste. – Platon, La République
Les cités et les états peuvent être considérés comme des navires se dirigeant vers une destination choisie. Le choix reste entre les mains du capitaine aidé par ses matelots. Seul le capitaine tient la responsabilité de la direction que prendra le navire car lui, et lui seul, possède les connaissances nécessaires au bon déroulement du voyage. Mais les matelots veulent le pouvoir, veulent être capitaine. Ils sont rusés et violents, prêts à tuer s’il le faut. Pour eux, la navigation ne s’apprend pas, et le capitaine, la tète toujours tournée vers les étoiles, est inutile.
Je ferai tout ce que je peux en tant que premier ministre pour stabiliser le navire durant les semaines et les mois à venir mais je ne pense pas qu’il serait juste que j’essaye d’être le capitaine qui navigue notre pays vers sa prochaine destination. – David Cameron, Juin 2016
Capitaine du bateau, en voulant affirmer ton pouvoir, tu as fait égarer ton navire. Tu n’as pas su regarder les étoiles, indispensables à la navigation. En regardant les étoiles, tu aurais compris que le destin de ton pays et de l’Union se tiennent par la main et passent avant ton propre destin. Les vrais philosophes regardent uniquement les étoiles. Oubliant la terre, ils sont incapables de faire parade aux abus et tricheries de leurs pires ennemis, tel Socrate à son procès. Le politique, lui, ne sait pas que les étoiles existent, trop occupé dans la besogne qui le portera aux sommets du pouvoir. Tu aurais dû regarder les étoiles, à l’instar des philosophes, mais aussi la terre, à l’instar des politiques, afin de voir tes ennemis. Tu n’as fait ni l’un, ni l’autre. Tu t’es regardé toi et ton destin, oubliant les étoiles malades de l’Europe, et ta terre affamée.
Mais tu ne tromperas pas en comparant nos dirigeants politiques à ces matelots dont nous venons de parler, et ceux que les matelots traitent d’inutiles et de rêveurs perdus dans les nuages à ceux qui sont de véritables pilotes. – Platon, La République
Nous avons un choix à faire devant une décision populiste d’un état membre de l’Union. A l’instar de Socrate, il nous faut trouver une voie dans laquelle la vie vaut d’être vécu. Socrate eut le choix entre l’exil et la mort.
Mais voici déjà l’heure de partir, moi pour mourir et vous pour vivre. De mon sort ou du vôtre lequel est le meilleur? La réponse reste incertaine pour tout le monde, sauf pour la divinité. – Platon, Apologie de Socrate
A notre tour, nous devons choisir, et le choix est simple : l’Union sans fin, ou la fin de l’Union. La réponse reste incertaine pour toute l’Europe, sauf pour sa belle princesse.