Il est temps de dire au revoir. Le Brexit est devenu réalité. Nous nous sommes battus pour essayer de te persuader de rester, mais ta décision est irrévocable. Tu quittes la maison qui était à toi et tu fermes la porte.
Mais le pire, c’est que tu aurais pu changer l’Union. Oui toi. Partie intégrante de la prise de décisions, tu aurais pu le faire à ta guise. Pourquoi n’as-tu pas agi quand tu en as eu l’occasion? Au lieu de cela, tu as convaincu ton peuple de la malveillance supposée du monstre que tu a aidé à créer.
Je ne sais pas si je dois être triste, en colère, ou simplement soulagé que tu quittes enfin une maison que tu as volontairement tentée de perturber au cours des 47 dernières années. Je reste cependant confiant que nous nous reverrons. Mais je ne sais ni “quand”, ni “comment”.
Il me parait étrange que des célébrations éphémères occultent la réalité d’un monde qui brûle sous nos pieds, et d’une société qui se désagrège sous nos yeux. Mais tu dois savoir que le monde brûle et que tu peux le réparer toi-même. Quant à ta société, tu es convaincu qu’elle peut se débrouiller seule.
En attendant, tu as le droit de vouloir célébrer le Brexit comme un adolescent qui vient d’avoir dix-huit ans et qui déménage dans une chambre étudiante, le lendemain de son anniversaire. Tu as remporté un référendum où la question posée était tellement différente de la réponse obtenue. Tu as gagné ton indépendance. Tu as acquis le droit de vote. Tu peux désormais inventer la couleur de ton passeport, décider quels drapeaux flottent haut sur tes monuments, et graver tes propres mots sur une pièce de monnaie qui n’a même pas besoin d’être ronde. Mais la plus grande question est de savoir si tu peux vraiment prendre soin de toi, faire la cuisine et laver ton linge, tout en ayant le temps de t’occuper de ton jardin. Sans oublier que tu dois désormais faire les courses toi-même et payer avec ton argent. Bonne chance et prends soin de toi.
Oui, l’Union européenne n’est pas parfaite. C’est un fier dinosaure qui a besoin de soins médicaux urgents. Mais tu aurais pu être son médecin. Alors que je sauve ma liberté de la gueule féroce du lion britannique, en tenant dans ma main gauche un passeport qui maintient ma citoyenneté européenne, tout en cachant dans la main droite, un passeport que je laisserai volontiers expirer, je rêve de ce qui aurait pu être. Je rêve d’une Union européenne à l’écoute de ses citoyens, d’une Union européenne qui chérit les différences tout en renforçant et en préservant ce que ses citoyens ont en commun.
Je suis tenté de ne pas pardonner celui qui veut fuir et qui tourne le dos aux idéaux, en soutenant le Brexit. Je défends les idéaux européens, avec toutes leurs imperfections. Ce sont des idéaux qui m’ont permis de passer d’une campagne enivrée par l’odeur de lavande, vers une campagne brodée aux couleurs de tulipes. Et j’aime ces deux campagnes.
Mais toi aussi, je t’aime, parce que tu m’as donné un avant-goût de ce que signifie être humain, de ce que ça fait d’être vivant. Tu m’as donné la vie et je veux te donner une chance. Tu peux me montrer que tu avais raison de quitter l’Union et que j’avais tort de vouloir que tu restes. Tu peux montrer à l’Europe comment procéder. Nous pouvons être inspirés par tes idées de justice sociale et de parité économique entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Tu peux nous montrer ce que signifie la “Grande-Bretagne mondiale” et comment elle apaise l’âme.
Alors que je marche le long des dunes baignées par les couleurs du soleil couchant, les dernières mouettes retournent dans leurs nids, et les quelques chiens prennent le chemin de la maison. Le silence règne et la soirée jette ses ailes protectrices sur un pays prêt à s’endormir. Tranquillité d’esprit, liberté de pensée. Mais je pense à toi, mon ami perdu depuis longtemps, et à la façon dont tu cherches une nouvelle voie à suivre, ne sachant pas ce qui t’attend et t’éloignant du chemin bien parcouru qui mène à la cité des lumières. Je deviens anxieux quand des nuages noirs, venant de l’Atlantique, menacent de perturber la mer du Nord et d’étouffer notre amitié perdue.
L’Union européenne doit avancer sans toi. Le Brexit est désormais une réalité. Mais je suis convaincu qu’un jour, tu te retourneras et tu reviendras vers nous. Nous nous retrouverons quelque part entre les falaises blanches de Douvres et les dunes dorées de Scheveningen. Nos mains se toucheront et nous ne ferons plus qu’un.
Tot ziens! Au revoir! Goodbye!