Coronavirus Et Responsabilité Individuelle

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Il est étrange que ce que beaucoup de gens décrient dans nos sociétés – la solitude – nous évitera probablement de flirter avec une extinction partielle. En confinant l’ensemble de la population française à deux semaines d’assignation à résidence, Emmanuel Macron a utilisé l’un des maux de la société actuelle pour que les français puissent tous continuer à vivre ensemble. Mais en même temps, il a enlevé la responsabilité de lutter contre la pandémie, que chacun d’entre nous devrait porter.

Il existe trois visions concernant la meilleure façon de lutter contre la pandémie de coronavirus. La première est celle d’un verrouillage complet, où le pays ferme ses portes au monde extérieur, et chaque citoyen se coupe de son environnement. Seul le temps nous dira si la France, l’Italie et l’Espagne réussiront à combattre le COVID-19. La Chine nous a montré la voie, mais ne sait pas encore ce qui se passera lorsque les restrictions seront levées, si elles sont levées.

La deuxième approche est celle d’une résignation discrète basée sur l’acceptation que les gens tomberont malades et que les gens devront mourir. Tout est pour un avenir meilleur, un avenir où tant de personnes seront immunisées contre le virus, que sa présence parmi nous n’aura pas d’importance. Mais les faits ont toujours raison et, faisant face à une augmentation vertigineuse du nombre de décès, Boris Johnson vient d’avouer que la fermeture des écoles du royaume était nécessaire.

Troisièmement, il y a ceux qui essayent de trouver un équilibre. Fidèle au savoir-vivre hollandais, où le compromis règne, Mark Rutte a expliqué à la nation qu’une épidémie “contrôlée” était nécessaire pour obtenir l’immunité du plus grand nombre, afin de protéger les plus faibles. Nous devons accepter que le virus est là pour rester. Ce n’est que lorsque suffisamment de personnes seront immunisées et/ou lorsqu’un vaccin mis au point, que le virus sera vaincu.

Quels que soient les biens-fondés des politiques gouvernementales, quelles que soient les théories scientifiques et les solutions pratiques fondées sur une vérité incontournable, le résultat final de la pandémie de coronavirus dépendra du sérieux avec lequel vous et moi prenons nos responsabilités, et jusqu’où nous sommes prêts à changer un mode de vie que nous tenions pour acquis.

Le confinement volontaire concerne moins vous et moi que les autres. Il reflète notre capacité à prendre en compte l’intérêt général. Je téléphone à une de mes patientes, pour annuler un rendez-vous conformément aux conseils en vigueur, pour découvrir qu’elle reçoit des amis. N’a-t-elle vraiment aucune idée de ce qui se passe? S’amuse-t-elle avant qu’il ne soit trop tard? Alors que d’autres sont enfermés ou ne travaillent pas, elle incarne un refus de tout ce qui dépasse l’individu. C’est une attitude de «moi d’abord», combinée à une myopie qui, un jour, nous mettra tous dans de beaux draps, si nous ne le sommes pas déjà.

La myopie humaine, surtout lorsque le problème ne vous concerne pas encore, est un autre aspect de la nature humaine qui nous mettra en difficulté. De la même manière qu’il y a ceux qui considèrent le réchauffement climatique comme un rêve irréaliste, il y a ceux qui pensent que le COVID-19 n’est qu’une grippe banale. Pour eux, il s’agit de l’attraper et de s’en remettre. C’est peut-être le cas, mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Le problème auquel nous sommes confrontés, c’est qu’en science médicale, il n’y a rien de pire que l’incertitude.

J’ai froncé les sourcils en passant devant un cabinet dentaire qui était resté ouvert. Deux affiches d’information peuvent être clairement lues à l’entrée. La première est une affiche que tous les dentistes peuvent obtenir; des conseils généraux sur la façon de limiter la propagation de l’infection en se lavant les mains et en éternuant dans le coude. La seconde met en garde toute personne souffrant d’un mal de gorge ou présentant une gêne respiratoire, de ne pas pénétrer le bâtiment, et d’annuler le rendez-vous par téléphone. Aux Pays-Bas, tous les dentistes ont reçu des conseils avisés de l’ Association Dentaire; rester ouvert uniquement pour les urgences, jusqu’au 6 avril. L’avis, bien sûr, n’est pas obligatoire, et c’est à chaque praticien de décider s’il doit continuer à travailler normalement.

Il est déjà assez difficile de suivre des conseils qui portent atteinte aux libertés individuelles. Mais lorsque les conseils sont vagues et peu convaincants, et diffèrent selon les experts, ils deviennent presque impossibles à suivre. Au Royaume-Uni, les propriétaires de bars et de restaurants sont furieux à la suite des conseils du gouvernement d’éviter les pubs et les restaurants tout en ne délivrant ni ordonnance de fermeture immédiate, ni plans d’aide aux industries touchées.

En médecine, un résultat favorable n’est obtenu que lorsque le patient et le médecin se font confiance. Un tel degré de confiance est nécessaire pour obtenir l’adhésion du patient au plan de traitement, ce qui conduit à le guérir de sa maladie curable.

Les citoyens ont la responsabilité de penser aux autres et d’agir de manière à se protéger et à protéger leur communauté. Les gouvernements ont également des responsabilités. Avant tout, ils doivent être clairs sur leurs objectifs et transparents dans leurs actions. En matière de santé publique, la population doit consentir au traitement proposé, et le consentement doit être informé. À cet égard, les allocutions télévisées de Mark Rutte et Emmanuel Macron n’auraient pas pu être plus différentes. Rutte a donné l’impression d’être un père affectueux, essayant de convaincre son enfant malade mais réticent, d’avaler un médicament amer. Il a expliqué que le gouvernement néerlandais avait trois choix et que la voie choisie était le moindre de trois maux. Pour le président français, c’était la guerre, sans explication rationnelle. Le pays était en guerre – une guerre sanitaire. Et si les Français n’obéissaient pas à leur général, ils seraient punis.

Le discours du président Macron était plein de panache, mais vide de sens et d’honnêteté. En comparant la situation à une guerre, il oublie que 20 000 hommes ont perdu la vie le tout premier jour de la guerre 14-18. Plus important encore, il n’a pas expliqué aux Français les raisons pour lesquelles le gouvernement avait décidé de mettre le pays à l’arrêt et, en même temps ne pas annuler le premier tour des élections municipales.

Nous devons tous être prêts à faire des sacrifices pour le plus grand bien, mais comme pour le changement climatique, nous n’agirons que lorsque la catastrophe nous affectera personnellement. Les gouvernements doivent être honnêtes et montrer que, sans prendre de décisions courageuses et éclairées, la société telle que nous la connaissons cesse d’exister. Si quelque chose de positif doit sortir de la pandémie, c’est l’occasion donnée à ceux qui gouvernent de démontrer que la politique est le seul moyen de diriger une société.

– C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté
– Qu’est-ce que c’est l’honnêteté ? dit Rambert, d’un air soudain sérieux.
– Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier.

 La Peste, Albert Camus