Le dernier numéro de Charlie Hebdo analyse les risques et méfaits de la montée en puissance de politiques identitaires. Le conflit Air France-KLM démontre que la France applique elle-aussi une politique identitaire quand bon lui semble. L’identité française est caractérisée par une arrogance bien gauloise.
C’est un trait que vous aimez ou que vous détestez, mais que de toute façon, vous devez supporter. Je parle de cette habitude particulièrement gauloise de penser que vous pouvez agir de manière égoïste et que personne d’autre n’a le droit de faire de même. Vous défendez votre culture parce que vous pensez qu’elle est exceptionnelle. De même, vous défendez vos entreprises sans remettre en question leur fonctionnement, ni analyser les bénéfices qu’elles peuvent ou ne peuvent pas réaliser. Le fait d’être français suffit en soi, synonyme de règles économiques et de vision particulières. Le trait dont je parle se nomme “arrogance,” et personne n’est meilleur en la matière que la France.
En voulant protéger les vols KLM et les emplois néerlandais à l’aéroport de Schiphol, le gouvernement néerlandais a porté sa participation dans la société à 14% et se situe désormais au même niveau que la France.
La réaction officielle de la France fait part de surprise, de contrariété et d’indignation. Emmanuel Macron a demandé des “explications” au gouvernement néerlandais. Cependant, c’est la réaction française qui est surprenante, ne tenant pas compte du raisonnement qui sous-tend la décision néerlandaise de protéger la compagnie aérienne nationale.
Les Pays-Bas ne sont pas le pire pays au monde en ce qui concerne les interventions de l’État, et de loin. Mais en ce qui concerne KLM, le gouvernement néerlandais a jugé nécessaire de protéger cet élément vital de son économie et qui fait partie du patrimoine national.
Les Français soutiennent que KLM est une filiale d’Air France. En tant que telle, la compagnie aérienne néerlandaise devrait se conformer à toutes les erreurs de gestion d’Air France et supporter les conséquences de grèves et de conflits répétés sur le sol français. De leur côté, les Pays-Bas craignent que le conseil de direction actuel, et en particulier le PDG canadien d’Air France, Benjamin Smith, veuille transférer de nombreux itinéraires lucratifs d’Amsterdam à Paris, favorisant fortement Air France. Les Pays-Bas ont toujours étés une économie ouverte et se sont révélés attractifs pour les entreprises étrangères. L’aéroport de Schiphol joue un rôle important dans la décision d’investisseurs étrangers de s’installer aux Pays-Bas.
La fusion des deux compagnies aériennes, qui a eu lieu en 2004, n’est certainement pas un mariage de rêves. En 2018, KLM a réalisé 80% des bénéfices du groupe malgré le fait que la compagnie néerlandaise n’a généré que la moitié du chiffre d’affaires du groupe. La marge bénéficiaire de KLM est cinq fois supérieure à celle d’Air France.
Les Hollandais ont toujours été ennuyés par la façon dont les pilotes français ont imposé leur loi dans l’ensemble du groupe. Les efforts déployés par KLM ne doivent pas servir à payer les pilotes d’Air France. – Marc Ivaldi (France Info)
La France s’est toujours considérée comme un état stratégique et fait maintenant face à la dure réalité selon laquelle elle pourrait ne plus être la seule. Mais la plus grande adaptation à laquelle les Français devront faire face concerne la relation du groupe avec ses travailleurs. Les travailleurs français ne pourront plus imposer leur loi jusqu’à dépouiller leurs cadres de leurs chemises. Les Néerlandais devront cependant attendre avant de pouvoir influencer le jeu au sein du groupe. Une règle interne stipule que les actionnaires qui détiennent plus de 9% du capital au sein du groupe ont droit à un “vote double” au bout de deux ans d’actionnariat. À l’heure actuelle, seul Air France détient ce droit. Delta et China Eastern en bénéficieront dès l’été prochain. Les Néerlandais n’auront également pas la main mise sur Benjamin Smith. Après sa nomination au poste de PDG d’Air France en septembre dernier, il a insisté de siéger au conseil d’administration de KLM et a même menacé de se débarrasser du PDG de KLM, Pieter Elbers, s’il ne parvenait pas à obtenir gain de cause. Benjamin Smith a obtenu son siège et le PDG de KLM a été épargné.
Il est vrai que les Néerlandais n’ont pas agi de manière amicale. Le groupe Air France-KLM est censé être une entreprise commune opérant dans un monde sans pitié, où il n’y a pas de scrupules concernant la concurrence. La France est championne du monde, non seulement en football, mais aussi dans l’obtention de marchés à quelque prix que se soit. Les Néerlandais l’ont bien compris et craignent que KLM ne devienne l’esclave du groupe en s’occupant d’itinéraires moins attrayants. Les récents problèmes concernant le PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn – accusé par Nissan d’avoir eu trop d’influence au sein du groupe, et soupçonné par ailleurs de fraude fiscale et de détournement de fonds – ne font que renforcer les inquiétudes néerlandaises. Le gouvernement de La Haye craint qu’un autre Français peu scrupuleux pourrait se retrouver prochain PDG du groupe Air France-KLM. Cela pose le problème des anciennes entreprises publiques françaises tombant entre les mains de PDG douteux, alors que les entreprises sont toujours soutenues par l’état français.
Le différend actuel entre Air France et KLM reflète des différences de mentalité entre la France et les Pays-Bas. Cela renforce également ma profonde conviction que le fédéralisme européen – l’harmonisation sociale et fiscale de tous les États membres de l’UE – est tout simplement irréalisable et encore moins souhaitable. Air France est une entreprise caractérisée par une hiérarchie beaucoup plus coûteuse et centralisée que KLM. Ces différences reflètent des divergences de fond concernant les mentalités et les sociétés françaises et néerlandaises. Ces divergences ne peuvent pas être fédéralisées.
En imposant leur PDG à la société néerlandaise qui, seule, maintient les bénefices du groupe, les Français ont fait preuve d’une grande arrogance et beaucoup moins de diplomatie. Les Hollandais ont réagi en renvoyant la balle aux Français. Emmanuel Macron et les siens ne sont pas contents car la France vient d’encaisser un but contre son camp et risque d’être menée au score.