La Moralité d’Un Coronavirus

Quelques semaines après le début de l’épidémie du coronavirus, et je suis atteint. Non, je n’ai pas attrapé cette saloperie – heureusement – mais je devrai faire face à la perspective, tôt ou tard, de manquer de masques de protection pour mon cabinet dentaire. Grâce à la panique générale – même mes collègues ont fait le plein, semble-t-il – mes fournisseurs sont en rupture de stock. 

Malgré l’absence de cellule, de cerveau, et de libre arbitre, les virus en général, et le coronavirus en particulier, nous lancent tous un défi moral et nous forcent à remettre en cause la nature même de nos sociétés à but lucratif. Les humains et les virus pourront-ils vivre ensemble dans un monde pacifique? D’une manière étrange, c’est la simplicité des virus que nous ne comprenons pas. Cela nous dérange et provoque des réactions humaines inappropriées, comme marcher dans la rue avec un masque.

Croyez-le ou non, le coronavirus n’est pas là pour vous tuer. Son seul but dans la vie est de se reproduire. Les virus sont l’exemple type de ce que voulait dire Jean-Paul Sartre lorsqu’il a déclaré que “l’essence précède l’existence”. De la même manière qu’une cuillère ne peut être rien d’autre qu’une cuillère, le coronavirus ne peut être que ce qu’il est – un morceau d’ADN qui ne peut rien faire d’autre que se répliquer. Un virus a besoin que vous soyez en vie, que votre souffrance soit discrète. Et lorsque vous n’êtes plus en mesure de subvenir à ses besoins, le virus quittera votre corps, que vous décédiez ou non par la suite. Telle est la dure vérité que représente la moralité d’un coronavirus.

Le cycle de vie d’un virus est un compromis constant entre la virulence et la capacité de propagation. Ainsi, la toux et les éternuements causés par le coronavirus peuvent passer inaperçus ou être mal interprétés; tandis qu’un saignement à l’œil lors d’une attaque virale ne le sera certainement pas. Ce dernier déclenchera une réponse si aiguë de notre part à tous, que le virus aura peu de chances de se propager.

La clé du problème auquel nous sommes tous confrontés est l’équilibre délicat entre nos corps complexes et nos psychés, et des morceaux d’ADN qui se propagent dans l’air et se fixent sur les surfaces. Contrairement à notre manque de respect de la nature – qui n’évolue pas, la séquence d’ADN d’un virus est en constante mutation. Je suis convaincu qu’il viendra un moment où un virus spécifique ne sera pas moralement enclin à respecter le compromis virulence / capacité de propagation que les humains et les virus ont signé.

Au sud de Wuhan, foyer du coronavirus, des cas de grippe aviaire sont passés en grande partie inaperçus dans les élevages intensifs de poulets. L’infection est causée par le virus de la grippe aviaire, H5N1. En 1997, une mutation de l’ADN du virus lui a permis de franchir la barrière des espèces et d’infecter les humains. À Hong-Kong, 1 enfant sur 9 infectés et 5 adultes sur 9 sont décédés. Jusqu’à présent, le virus n’a pas pu se propager entre humains. En cas de transmission inter-humaine, nous pouvons nous attendre à un taux de mortalité de 60%.

Il y a une dure leçon à tirer de la situation actuelle – nous ne devons pas tenir pour acquis l’équilibre qui est si répandu dans la nature. Nous devons maintenir le statu quo, en respectant les écosystèmes. Nourrir des animaux avec un régime alimentaire humain ou les bourrer d’antibiotiques ne fait que poser des problèmes. Nous ne devons pas altérer les lois fondamentales de la nature, où chaque créature et plante vivante dépend de toutes les autres créatures et plantes vivantes. Nous devons également apprendre à investir beaucoup plus dans la recherche scientifique, ce qui nous permettra de mieux comprendre le fonctionnement de la nature et ce que nous pouvons faire pour la protéger ainsi que nous-mêmes. Nous faisons tous partie du même monde.

Le plus grand danger auquel nous sommes confrontés est celui d’oublier cette crise une fois qu’elle est passée et de laisser les vérités acerbes de la cupidité économique prendre le dessus sur la science et la moralité. Si c’est le cas, il sera fort possible que quelque part dans le monde, dans une grotte inconnue, un oiseau porteur d’un virus inconnu soit prêt à s’envoler de son nid et à se diriger vers nos villes.