Je ne peux pas nier la vérité. Marine Le Pen a remporté les élections au Parlement européen face à Emmanuel Macron. Son nouveau parti, le Rassemblement National, a fait le même score que l’ancien, le Front National, l’avait fait aux élections européennes de 2014. Obtenir un quart des voix est un score élevé pour un parti aussi radical et il semble que la France doit accepter le fait que bien des électeurs soutiendront Marine Le Pen aux prochaines échéances électorales.
La construction européenne est suffisamment difficile à comprendre sans que les politiques utilisent les institutions démocratiques de l’UE pour renforcer leurs aspirations politiques nationales.
Que Marine Le Pen jubile de sa victoire est de bonne guerre. Elle a remporté la bataille contre Emmanuel Macron qui, contrairement à ce que doit faire un président en exercice, a participé directement à la campagne électorale. Tous deux ont utilisé les élections européennes pour faire avancer leurs propres agendas politiques.
La construction européenne est suffisamment difficile à comprendre sans que les responsables politiques utilisent les institutions démocratiques de l’UE pour renforcer leurs aspirations politiques nationales. Quel est l’intérêt d’avoir des élections européennes si celles-ci sont centrées sur la politique interne du pays?
Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir de nulle part, emporté par les frustrations des Français qui recherchaient une politique radicalement différente. “Je vous ai compris,” semblait être son message, faisant écho à la célèbre phrase de Charles de Gaulle pendant la guerre d’Algérie. Au musée du Louvre, le président élu a promis que les choses changeraient et que le monde serait témoin de ce que le pays des Lumières pouvait faire. “Le monde nous regarde,” a-t-il proclamé.
Le monde a été témoin de plus de troubles sociaux que jamais auparavant avec un gouvernement qui promet un changement radical mais délivre les mêmes recettes qui font mal. Cela me rappelle 1981, lorsque les socialistes sont arrivés au pouvoir et que François Mitterrand avait promis un changement avant de livrer autre chose que des roses rouges. La politique d’Emmanuel Macron est une politique bien à droite et n’englobe pas une large majorité comme il avait promis en 2017. Macron a été astucieux car au lieu de changer de politique comme le souhaitaient les Français, il a tout simplement changé d’électorat. Il a délaissé la gauche d’où il venait, pour se diriger vers la droite. Il a anéanti la droite traditionnelle mais a perdu des électeurs des partis de gauche qui n’ont pas voté ou qui ont voté pour les Verts lors des élections européennes. Dans le même temps, les partis de gauche sont plus divisés que jamais et ont été décimés.
Les manœuvres de Macron ont conduit à une polarisation du paysage politique français. Ce n’est pas une polarisation entre la gauche traditionnelle et la droite comme nous en avons pris l’habitude, mais entre une large partie de la droite et le parti de Marine Le Pen, reflétant ceux qui se sentent bien dans la France de Macron et ceux qui s’y opposent, respectivement. Comme annoncé et orchestré par Emmanuel Macron, les Français auront le choix entre sa politique qu’il qualifie de progressiste et le nationalisme de Marine Le Pen.
Pour Marine Le Pen, il n’y avait qu’un seul vainqueur aux élections européennes, et le président français doit tirer les conséquences de sa défaite, ayant engagé sa responsabilité politique pendant la campagne. Elle demande la dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives dotées de représentation proportionnelle, cette dernière étant la seule façon de lui donner une chance d’accéder au pouvoir. La proportionnelle ferait de Marine Le Pen un adversaire bien plus redoutable et causerait des problèmes insurmontables à ses adversaires.
Il [Macron] doit dissoudre l’Assemblée française en choisissant une forme de vote plus démocratique qui reflète enfin l’opinion du pays – Marine Le Pen
La démocratie européenne a été utilisée et abusée
Alors qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen préparent leurs victoires futures, ils ont tous deux oublié un fait important. Les élections qui ont eu lieu étaient des élections européennes dont le seul objectif était d’élire démocratiquement les membres du Parlement européen. La campagne électorale aurait dû se focaliser sur les problèmes européens. Au lieu de se concentrer sur l’Europe, les différents candidats ont insisté sur le fait que les élections serviraient de référendum national, et porteraient un jugement sur la popularité d’Emmanuel Macron et l’acceptation de sa politique.
Dans les débats télévisés qui ont précédé le vote européen, le seul moment où l’Europe a pris le devant de la scène a été celui où elle a été victime d’abus d’anti-européens. Les différents candidats anti-UE ressemblaient plus à des prédateurs sauvages voulant achever un animal déjà blessé. Aucune alternative viable n’a été proposée, seulement des critiques acerbes. Même ceux qui ont essayé de défendre l’Union européenne ont formulé de vagues promesses qui, dans la plupart des cas, se sont transformées en querelles franco-françaises. Dans un débat télévisé en particulier, la plupart des têtes de listes n’était même pas capable de citer une mesure politique pour l’Europe qui distinguait leur parti des autres.
La vérité est que nous ne savons pas quoi faire avec l’Europe. C’est un projet devenu trop grand pour son propre bien, mais trop petit pour lutter contre les menaces qui apparaissent au-delà de ses frontières. C’est à cause de cette complexité que les démagogues de tous les États membres ont beaucoup plus de facilités à réfléchir en termes de politique nationale que de tenter de construire un avenir européen bien au-delà des frontières de leurs capitales respectives.
On peut se demander si l’Union européenne mérite des hommes et des femmes politiques de cette envergure. Celles et ceux qui critiquent et défendent maladroitement l’Europe ressemblent plus à des poissons rouges dans un bocal qu’à des personnalités politiques responsables. Ils voient le monde extérieur mais sont incapables de l’atteindre ou de le comprendre. Ils ne font rien d’autre que des bulles dans l’eau et nagent en cercles dans un espace confiné ne comportant que de l’eau tiède.
L’Europe mérite sûrement beaucoup mieux que cela.