Les commentaires d’un lord anglais lors de l’émission Newsnight de la BBC ont jeté un doute sérieux sur la capacité qu’ont les anglais soutenant le Brexit de comprendre vraiment ce qui se passe, notamment en Irlande du Nord. Au sujet du fameux “backstop” irlandais, Lord Peter Lilley a suggéré que si la France quittait l’UE, la Corse ne tolérerait pas une frontière douanière et la France rejetterait certainement un “backstop” corse semblable à celui conclu pour l’Irlande du Nord.
Imaginez que la France doive établir des procédures douanières entre la France métropolitaine et la Corse. – Lord Peter Lilley
J’ai vérifié sur Google Maps si mes notions de géographie étaient bien à jour. Si je ne me trompe pas, la géographie de la Corse n’a pas changé. Elle est en pleine mer, n’a pas de voisins terrestres et appartient à la France.
Il est assez étonnant que personne n’ait repris Lord Peter Lilley au sujet de cette comparaison insensée, à moins bien sûr que personne ne l’ait écouté.
L’Île de Beauté est à court d’argent et dépend fortement des subventions de Paris. L’île survit principalement grâce à une invasion allemande pendant les mois d’été et exporte peu, mis à part un pinard bon marché. En fait, l’excédent commercial le plus élevé de la Corse a été enregistré en 2015 quand un tableau de Picasso évalué à 25 millions d’euros a été saisi dans un port de l’île.
La Corse bénéficie d’un statut particulier depuis 2018. L’île est une collectivité qui remplace les deux anciens départements de la Corse et de la Haute-Corse. Bien que la collectivité bénéficie d’un plus grand degré d’autonomie que les autres collectivités françaises et possède sa propre assemblée, l’île reste encore sous administration française.
Être sous administration française ne signifie pas que les corses n’ont pas de différents avec l’élite parisienne. La paix sur l’île est constamment menacée par les séparatistes. En avril dernier, Emmanuel Macron a effectué une visite sur l’île, rappelant que la Corse disposerait d’une autonomie sans pouvoir de légiférer. L’autonomie serait limitée à “l’adaptation des normes dans le cadre de son autonomie de compétence […] dans la République”.
Alors que se passerait-il dans le cas du Frexit? Si la France quittait l’UE, elle emporterait la Corse avec elle, que les corses le veuillent ou non. Mais les négociations entre Paris et Bruxelles porteraient-elles réellement sur un “backstop” corse? Le Frexit n’affecterait pas la frontière entre la France et la Corse pour la simple raison qu’il n’y a pas de frontière entre la France et la Corse susceptible d’être affectée par le Frexit. Les contrôles douaniers actuels resteraient en place. Ce qui changerait, bien sûr, serait la relation commerciale entre la Corse et l’UE, de la même manière que les relations commerciales de la France avec l’UE.
Le raisonnement de Lord Peter Lilley va dans le sens de celui de son Premier ministre, de l’ensemble du gouvernement et de la plupart des partis d’opposition. La vision du Royaume-Uni de ce que le Brexit signifie et implique est caractérisée par un manque flagrant de compréhension et de raisonnement.
Quitter l’UE devrait être basé sur des faits, pas sur de la fiction et des émotions. L’UE, par l’intermédiaire de son négociateur en chef, Michel Barnier, a douloureusement présenté un accord que le Royaume-Uni refuse de considérer comme le seul accord respectant la paix en Irlande et protégeant le marché unique de l’UE. Pour Michel Barnier, “accord ou non, ce n’est pas la fin de l’histoire. L’ensemble des relations futures avec le Royaume-Uni reste à définir”.
Le Brexit est une position dans laquelle le Royaume-Uni se trouvera et non une destination finale. Pour les Anglais, le terminus semble de plus en plus perdu dans le brouillard londonien et le train en provenance de Bruxelles arrivant aux quais numéros 6, 7 et 8 déraille complètement.