C‘est une scène de la vie quotidienne. Je vais à la station-service et je paie à la caisse. Le caissier ne porte pas de masque mais bien des gants noirs à usage unique. Il me remet le reçu et, sans changer de gants, s’occupe du client suivant. Des études récentes ayant montré que le coronavirus peut survivre sur des surfaces pendant des heures, il est fort possible que le caissier se soit protégé, mais pas ses clients.
J’ai toujours trouvé cela étrange – des vendeurs portant des gants jetables pour vous remettre ce que vous venez d’acheter, et, acceptant le paiement en espèces en utilisant les mêmes gants, vous rendent la monnaie. Comme si les virus disparaissent d’une manière ou d’une autre de la surface extérieure de vos mains simplement parce que vous portez des gants.
Le comportement de l’employé de la station-service suit le même égoïsme que celui de tous ceux qui portent des masques dans la rue et ceux qui vident les rayons des supermarchés. C’est ainsi qu’une infirmière ayant travaillé 48 heures d’affilée dans un hôpital saturé, ne trouve pas de nourriture. C’est ainsi que les détaillants ne peuvent plus me fournir les masques et le gel pour les mains que j’utilise, ce qui m’oblige à cesser de soigner mes patients. Il va sans dire que, suivant les conseils de l’association dentaire néerlandaise, je me serais quand même arrêté, avec ou sans masques et gel pour les mains.
Il est assez évident que le stockage de la nourriture et du papier toilette est aussi égoïste et amoral que le port d’un masque innutile. Je serais intéressé de savoir si les mêmes personnes qui achètent pour trois semaines de fèves au lard en conserve, achètent également pour trois semaines de papier hygiénique. Si tel était le cas, il existerait un lien de cause à effet entre les deux achats.
Pour ceux qui portent des masques sans être malades, non seulement ils agissent de manière égoïste et stupide parce qu’inutile, ils font aussi du tort aux services de santé. Alors que je ne causerai pas beaucoup d’inconvénients en retardant les contrôles dentaires de quelques semaines, la pénurie chronique de masques non seulement dans les hôpitaux, mais aussi pour les médecins généralistes, devient vraiment un problème.
Les derniers chiffres pour les Pays-Bas montrent que 3631 personnes ont été testées positives pour COVID-19. Le 20 mars, le nombre officiel d’infectés travaillant dans les hôpitaux était de 725. Un gros problème aux Pays-Bas, et ailleurs, est la pénurie potentielle de lits et de ventilateurs. Mais si la tendance actuelle se poursuit, un problème encore plus grave pourrait être la pénurie chronique de personnel hospitalier suffisamment sain pour travailler 24 heures sur 24.
La solidarité qui se manifeste en réponse à la plus grande crise de santé publique à laquelle la plupart d’entre nous avons été confrontés ne doit pas être sous-estimée. Des initiatives se mettent en place pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. Dans l’ensemble, la population écoute et suit les conseils et les décisions prises. Les gouvernements ont soudainement trouvé l’argent pour tous nous aider dans nos efforts de solidarité envers les autres, en soutenant financièrement les effets de l’auto-isolement. Et même l’UE a temporairement suspendu la nécessité pour ses États membres de rester dans la limite du déficit public de 3%.
Mais ne nous leurrons pas. Il suffit de voir la façon dont tant d’Italiens ont fui la zone la plus touchée du pays pour se réfugier au sud, pour se rendre compte que cette solidarité est teintée d’une odeur âcre de peur. C’est la peur d’une particule minuscule et invisible, vivant entre l’être et le néant, et qui menace de détruire notre mode de vie.