Syrie: Une Césarienne Pratiquée par un…Dentiste

Nous nous  rappelons tous de  l’image horrifiante d’un garçon syrien de 3 ans retrouvé mort sur une plage. La scène reflète d’une façon cruelle la situation dans laquelle se trouvent la grande majorité des gens ordinaires en Syrie. Mais lui et tant d’autres ne sont pas ordinaires. Nous le sommes.

Nous vivons tous protégés dans nos bulles personnelles, et sommes seulement temporairement affectés par les atrocités et souffrances se déroulant autour de nous. En tant que société, nous observons l’extérieur à  travers la chaleur et le confort de notre propre bulle, trop effrayés pour intervenir une fois pour toutes. Quand des milliers de ces personnes extraordinaires fuient désespérément, risquant leurs propres vies, notre seule réaction est de vouloir refuser de les accueillir, de peur que notre bulle éclate.

 

Notre angoisse est celle de la liberté. L’angoisse des Syriens est celle de vivre en Syrie.

Je n’ai pas demandé à naître en Europe, en temps de paix. C’est le fruit du hasard, et c’est un « tirage au sort chanceux». Pour le philosophe Jean-Paul Sartre, la liberté nous est « imposée » à tous lors de notre naissance. Que ça nous plaise ou pas, c’est à nous de « décider » quelle sorte de vie nous allons vivre. Le fait de devoir prendre des décisions  remplit nos vies d’inquiétude et de doute. De la même manière, les milliers de jeunes Syriens n’ont pas demandé à naître en Syrie, cela leur est simplement arrivé. Aujourd’hui, ils payent le prix des erreurs commises au plus haut niveau, non seulement par leurs gouvernements successifs, mais aussi par les gouvernements occidentaux. Ces  erreurs sont basées sur le fanatisme et l’intolérance religieux infondés, ainsi que des intérêts financiers et politiques des gouvernements occidentaux.

Mais le fait que les gouvernements arabes naissent et disparaissent, directement ou indirectement aidés par des puissances et des entreprises étrangères, ne reflète pas la véritable nature atroce et inhumaine de la situation régnant dans le monde arabe. Les histoires vraies, celles qui devraient affecter vous et moi au plus profond de nous-mêmes, proviennent d’hommes, de femmes et d’enfants qui essayent de mener une  vie ordinaire dans des circonstances extraordinaires.

“A Madaya, les gens meurent au ralenti.”

Telle est notre histoire. Elle relate la situation incroyable dans laquelle se trouve un dentiste syrien. Évidemment je ne le connais pas personnellement, mais cela ne m’empêche pas de m’identifier avec lui avec une telle force, qu’après avoir lu son histoire, j’ai immédiatement fait un don  à une organisation d’aide pour la Syrie.

Cet homme est, par définition, un collègue. Nous pratiquons la même profession et, si « Madame Chance »m’avait tourné le dos, il pourrait avoir été né au Royaume-Uni, et moi en en Syrie.

Muhammad Darwish, 26 ans, habite Madaya, une petite ville de montagne située dans la province d’Idlib, près de la frontière libanaise. La ville a été sous le siège des forces pro-gouvernementales depuis plus de 18 mois. Elle est encerclée par 12.000 mines terrestres et 65 postes de garde équipés par l’armée syrienne, rendant l’accès pratiquement impossible. Jusqu’à 40.000 personnes sont emprisonnées dans le secteur et littéralement affamés. Selon des sources locales, les « gens meurent au ralenti». Muhammad travaille avec un vétérinaire, et sont les 2 seules personnes capables d’offrir une quelconque aide médicale aux blessés et aux personnes mourant de faim. Un groupe de médecins leur a enseigné des notions rudimentaires de médecine avant de quitter la région.

 

“Nous avons appelé la Croix Rouge. Ils ne sont pas venus.”

Le récit de la situation actuelle à Madaya est dramatique, déchirant et surtout profondément inquiétant. Les produits médicaux de base, y compris des anesthésiques, sont pratiquement inexistants, et l’hôpital lui-même est situé dans un bâtiment improvisé.

La seule aide disponible est l’appui d’un groupe de médecins syro-américains par WhatsApp.  Même cette aide précieuse ne peut pas avoir lieu à l’intérieur de « la salle opératoire» par manque de signal Internet. Cependant, la présence du groupe est de la plus  grande importance. Pour des opérations difficiles, Muhammad envoie des photos du patient par WhatsApp et obtient l’aide directe des médecins participant au groupe.

Ceci s’est produit récemment quand ils ont dû effectuer une laparotomie afin d’enlever une balle de fusil. Muhammad et son collègue avaient contacté  la Croix Rouge dans l’espoir que le blessé serait transféré, afin de recevoir à traitement approprié, mais l’aide n’est jamais arrivée.

La plupart des opérations pratiquées sont des amputations sur des victimes de mines terrestres. Cependant, un nombre significatif de césariennes sont également pratiquées car beaucoup de femmes sont trop faibles pour donner naissance de façon naturelle.

Il est tout à fait incroyable que bien que les fonctionnaires de l’ONU se soient rendus compte de la situation préoccupante dans et autour de Madaya, la ville n’a pas été incluse parmi les secteurs assiégés dans le rapport de l’ONU 2015 sur l’application des résolutions du Conseil de sécurité concernant la Syrie. La ville a bien été nommée, début 2016, lui donnant droit de recevoir une aide humanitaire. Selon Muhammad, même aujourd’hui, l’arrivée d’un convoi humanitaire demeure un événement sporadique.

Pour ce jeune dentiste, transformé en chirurgien expédient, il n’y a aucune possibilité de quitter Madaya, même s’il le voulait. Le risque d’être tué ou mutilé en essayant de fuir  la région est trop élevé. Il a vu trop de gens mourir ou devenir invalides en essayant de s’échapper de ce cauchemar. Son courage est là, visible pour tous.

 

Pour maintenant, nous restons ici et survivons. Mais ne me demandez pas comment. C’est un miracle. – Muhammad Darwish

 

Peut-être il est temps pour nos sociétés occidentales de faire éclater  notre bulle et de voir ce qui se produit vraiment chaque jour en Syrie et ailleurs.

 

English version

 

Sources:

NOS (en Néerlandais),

UN report 2015

The Guardian Feb 2016