A.S. Saint-Etienne: Les Fantômes du Stade Geoffroy-Guichard

Saint-Étienne

Que s’est-il passé depuis mon départ de Saint-Étienne, il y a vingt-quatre ans? Un quart de siècle depuis mes dernières palpitations, yeux fixés sur le chronomètre de l’autre côté du stade mythique surnommé « Le Chaudron. » Et pourtant, aux fins fonds de  mon esprit, je sais ce qui se passe dans  l’enceinte du stade: le temps reste figé, l’aiguille du chronomètre ne tourne plus. Sur le terrain, les joueurs stéphanois, quels qu’ils soient, restent prisonniers de la fureur de Glasgow, en Écosse, et cela fait quarante-six ans et des poussières que ça dure.

Quand j’étais à Saint-Étienne, de temps en temps, une étincelle semblait attiser les flammes du chaudron. Les ambiances des grands soirs rugissaient aux alentours du stade, ne demandaient qu’à entrer dams l’enceinte et étouffer l’adversaire sans violence, sans haine. Un peu de talent suffisait, et beaucoup de volonté. Aucune équipe adverse ne sortait indemne du stade, et toutes y ont laissé des plumes. L’ A.S. Saint-Étienne – l’ASSE pour les intimes- faisait peur et bouillonnait dans son propre chaudron.

Mais aujourd’hui? Je n’ai pas besoin d’être au stade pour sentir ce qui s’y passe. De là où je suis, à mille kilomètres, je vois des petits enfants qui essayent de courir après la gloire de leurs maitres d’école, mais n’y parviennent pas. La gloire et le ballon restent intouchables, et les joueurs actuels ne connaissant pas les règles d’un jeu pour lequel ils n’ont pas trop de talent et encore moins l’envie de jouer et de mouiller le maillot. Les Verts d’aujourd’hui  portent un maillot pour adultes alors qu’ils ne sont que des gamins de maternelle essayant de faire croire à un public averti et fidèle que l’heure du rendez-vous est là, que la cloche d’une finale va sonner. Mais cette cloche ne sonne pas l’arrivée imminente de champions brandissant une coupe, mais bien la rentrée des classes. Fini les vacances, et les bambins ont peur, s’accrochent aux jupons de leurs mères, car l’école verte fait peur, l’école verte est hantée. Ils restent figés, regards tournés vers le ciel où des silhouettes tournent autour du stade et enlacent les projecteurs qui illuminent une finale du passé, une finale ratée. Privés du peu de talent qu’ils pourraient posséder, et dépourvus d’une rage de gagner qu’ils auraient dû avoir, nos petits écoliers paniquent, ne bougent plus et restent cloués au sol comme des lapins aveuglés par les phares d’une voiture, et qui attendent l’inévitable. Ce sont les fantômes dans les cieux autour de Geoffroy-Guichard qui bougent; ce sont les âmes de sportifs défunts qui crient au scandale des poteaux carrés qui auraient dû être ronds, ces âmes vertes qui ont été piégées par une horde germanique moins talentueuse, mais plus chanceuse.

Inutile de se leurrer. Les Verts d’aujourd’hui n’ont ni talent ni hargne. Ils jouent dans un stade rempli de fantômes et finiront par vivre dans une ville et une région qui ont perdu ce qui leur appartenait: l’ASSE.

Les fantômes de Geoffroy-Guichard continuent surement de verser des larmes pour ce qu’ils auraient pu avoir un soir de 1976 à Glasgow, mais qu’ils n’ont pas eu. Les Verts d’aujourd’hui ne pleurent pas, ne montrent aucune émotion pour un club qui n’est pas vraiment le leur. Non, l’ASSE appartient aux fantômes qui survolent Geoffroy-Guichard jour et nuit, et voient ce qui s’y passe. Les pleurs des fantomes ne concernent plus seulement Glasgow, mais leur club de foot qui va bientôt mourir et disparaitre dans les bas-fonds du Forez.